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Chapitre 4 : Les salles d’étude – Les dortoirs

Les blouses grises

Dans ce lycée d’antan, où se côtoyaient pensionnaires, demi-pensionnaires et externes, à quoi reconnaissait-on un interne ?
Tout simplement à sa blouse, car la tenue du pensionnaire de 1960 (et jusqu’en 68) imposait le port de ce vêtement ; une blouse délavée, au tissu froissé, de couleur gris foncé, de longueur imposante, une blouse qui, au fil des semaines, pouvait ressembler plus à un chiffon qu’à un vêtement. Et l’hiver, la blouse dépassait sous la veste ou le manteau ; cela n’était guère élégant !
Les demi-pensionnaires et les externes n’en portaient pas, ce qui singularisait les pensionnaires…

Le goûter

Revenons sur le goûter du pensionnaire, pour remarquer qu’il est assez succinct. Les repas sont très corrects mais à 4 heures, l’interne aimerait bien un peu plus de friandises…
La distribution, en grande cour sous la galerie, génère une longue file d’internes qui avancent progressivement jusqu’à l’agent de cuisine, pour recevoir deux barres de chocolat (du chocolat noir, d’épaisseur bien faible) ou parfois une pâte de coing, un ʺ malakoff ʺ, ou de la gelée de raisin en dosettes. Par contre, dans la corbeille voisine les tranches de pain sont à volonté.

Durant les premières semaines d’internat le pensionnaire de sixième se contentait de cette ration. Pour l’améliorer, la première idée venue consistait à passer deux fois au service de distribution de ce petit chocolat, avec cinq ou dix minutes d’intervalle. Mais l’agent de cuisine avait bon œil :
« Mais tu ne serais pas déjà passé une fois, toi ? »
« Heu… non ; c’était hier »
« Je n’en suis pas si sûr… » et il donnait quand même (parfois) une deuxième ration.
Il fallait donc procéder différemment pour bonifier son goûter. La solution : ramener de la maison quelques friandises (non périssables), et les garder dans le casier d’étude. Mais les garder bien cachées, derrière les livres, car, de temps à autre, le surveillant général procédait à des fouilles ; et malheur à celui qui détiendrait la moindre nourriture. Lors d’un tel contrôle, il arriva un jour que le ʺ surgé ʺ [1] découvrit dans un casier une réserve de saucisse sèche… Le malheureux détenteur ne partit pas chez lui le samedi suivant… et la saucisse (bien que très appétissante) fut détruite sur le champ !

[1] surgé : surnom du surveillant général

L’étude

Billet d’entrée en étude – 1962

L’étude de fin de journée suivait la récréation du goûter. La discipline y demeurait sévère, tout bavardage avec un voisin restant strictement défendu. Il n’était donc pas question de travailler à deux sur un sujet donné, ne serait-ce que pour un court instant ; on ne devait pas se lever. Cependant, pour chaque leçon, exercice ou devoir, il fallait bien disposer des cahiers et livres de la matière ; mais ils se trouvaient dans le casier au fond de la salle. On devait lever le doigt et demander au surveillant l’autorisation de se rendre au casier. Il acceptait, certes, mais seulement s’il n’y avait pas déjà un autre élève se déplaçant pour la même raison ! On devait donc parfois patienter.
Certains surveillants, pour alléger le procédé, nous autorisaient à nous lever sans avoir à demander l’autorisation, mais toujours à condition qu’il y ait un seul garçon debout.

D’autres surveillants, très peu nombreux, acceptaient d’apporter, à un élève demandeur, non point une aide aux devoirs, mais plutôt une explication pour la compréhension d’une question par exemple ; ce soutien restait fort limité, presque exceptionnel, car si le surveillant parlait à un enfant, cela risquait de distraire les autres, et le silence de la salle serait rompu. En fait chacun devait travailler seul !
Dans les préparatifs pour le lendemain, une tâche revenait chaque soir : remplir d’encre le stylo plume. On n’utilisait les stylos à bille que pour le rouge, ou en cas de défaillance du stylo à plume. Chaque élève possédait une petite bouteille d’encre Watterman ; avant la fin de l’étude, il remplissait son stylo. Cette opération, bien que très simple, pouvait s’avérer délicate, car il ne s’agissait pas de tomber quelques gouttes d’encre sur le bureau ou, pire, de renverser le flacon.

Des dortoirs bien loin du lycée

Si les deux premières années, sixième et cinquième, présentaient une certaine ressemblance pour le pensionnaire, l’arrivée en quatrième provoquait plusieurs changements à l’internat.
Les récréations se déroulaient désormais dans la cour principale, la cour des grands. Fini, la bruyante petite cour en contrebas !
Nous avions toujours des cours le samedi mais le jeudi restait libre.

Cependant, la nouveauté la plus remarquable, en quatrième, concernait le dortoir. Les quatrièmes et troisièmes ne dormaient pas au lycée mais dans trois dortoirs annexes, situés à huit cents mètres, à l’ancienne caserne Saint Jacques, avenue de la Marne. Ces dortoirs présentaient le même état d’ancienneté que ceux du lycée, et le déplacement se faisait à pied, matin et soir.
Nous nous rangions sous la galerie attenante aux cuisines, sortions par la porte de service et partions pour dix minutes à un quart d‘heure de marche, dont le seul avantage pouvait être que nous traversions la ville, en passant vers les halles, la mairie, la place Garibaldi et l’avenue de la Marne, pour atteindre les dortoirs, perchés au dernier étage de bâtiments bien vieux. Ces déplacements quotidiens nous donnaient un sentiment de liberté ; nous n’étions pas enfermés dans les murs du lycée la semaine durant.

Mais le problème pouvait venir du ciel. Si une bonne veste, passée par-dessus la blouse grise, atténuait quelque peu la froidure d’hiver, il n’en était pas de même les jours de pluie. Sans protection vestimentaire efficace, et sans parapluie, la troupe des internes subissait de plein fouet les averses d’automne ou les pluies de printemps, qui trempaient nos vestes et blouses.
Certains ont en mémoire un soir particulier (de fin 62) où un violent orage s’abattit soudainement sur nous à partir de la place de la mairie. Impossible d’abriter une centaine d’élèves sous quelques rares portes cochères ; la seule solution fut de partir à la course, sous l’œil angoissé des surveillants qui n’avaient jamais connu pareille débâcle et qui craignirent de perdre quelques garçons. Malgré ce, sous des trombes d’eau, toute la troupe arriva à Saint-Jacques, mais trempée jusqu’aux os. Les dortoirs se transformèrent en séchoirs à linge, chacun ayant étendu tous ses vêtements sur les barreaux de son lit, les montants de son armoire, ou sur les lavabos, en espérant qu’ils seraient bien secs le matin venu.
L’année suivante (en septembre 1963) la municipalité de Béziers mit à disposition du lycée deux cars de ville qui, à 20 heures, nous attendaient Boulevard d’Angleterre (nous sortions par le portail des externes) pour nous amener à Saint-Jacques ; et le matin, le voyage inverse nous rapatriait à Henri IV avant 7h 15.
Ces trajets en autobus mirent fin aux douches gratuites sur le parcours !

À partir de la seconde, nous retrouvions les dortoirs au lycée. Et l’accès au deuxième cycle s’accompagnait aussi, de quelques innovations appréciées par le pensionnaire :

  • Tout d’abord celle qui ravissait de nombreux élèves, mais ne les concernait pas tous : l’autorisation de fumer dans un recoin de la cour.
  • Plus intéressant, le droit de sortir seul du lycée le jeudi après-midi, pour se rendre, par exemple, en ville. Ainsi, les groupes de copains allaient flâner sur les allées Paul Riquet, en essayant d’attirer l’attention de quelques jeunes filles passant par-là !

Des dortoirs transformés en étude

Pour ce qui est du travail scolaire, le passage en seconde apportait deux nouveautés permettant de travailler après le repas du soir : soit en étude, soit au dortoir :

  • En premier lieu, nous disposions d’une heure d’étude en soirée, de 8 heures à 9 heures, avant la montée au dortoir ; tout interne appréciait ce supplément horaire, le volume de travail personnel étant bien plus conséquent que dans les petites classes.
  • Cependant, nous étions nombreux à vouloir encore plus d’heures pour étudier, en particulier en période de composition, où les révisions prenaient beaucoup de temps. La seule plage horaire encore disponible se situait au dortoir, vers 9h 30, après l’extinction des feux. Trois possibilités s’offraient à ceux qui souhaitaient, en soirée, continuer leurs révisions :

    -1- Glisser sous les couvertures en tenant d’une main le livre, de l’autre une petite lampe électrique torche, en faisant en sorte que la lumière ne soit pas visible de l’extérieur de la cachette.

Mais la méthode obligeait à sortir souvent la tête de ce tunnel de couvertures, pour respirer profondément, en prenant soin d’éteindre la pile à ce moment-là, pour ne pas se faire réprimander par le surveillant.
En fait, ce procédé s’utilisait surtout en 4ème et 3ème où, en l’absence d’étude du soir, l’heure du coucher pouvait paraître prématurée pour l’adolescent ; d’où l’intérêt, porté par certains, pour la lecture, en soirée, des livres de bibliothèque.

-2- Deuxième possibilité : à partir de la seconde, dès que l’éclairage du dortoir s’éteignait, se rendre, avec son cahier ou livre, dans l’unique WC du dortoir, une petite pièce fort étroite mais d’une bonne longueur, ce qui permettait aux élèves venus y travailler de s’asseoir par terre sur deux alignements, adossés au mur, face à face.

Mais ce procédé présentait deux inconvénients majeurs :
*      La faible ampoule électrique destinée à éclairer parcimonieusement le cabinet n’arrivait pas à nous fournir suffisamment de luminosité pour que chacun lise sans fatiguer ses yeux.
*      La salle restait un WC avec les odeurs qui pouvaient s’y complaire ; et l’utilisation de ce lieu en mini-salle d’étude annulait la possibilité de se servir des toilettes … enfin… en principe !
Mais il fallait bien poursuivre les révisions, pour la composition du lendemain !

-3- La troisième solution, la meilleure, se pratiquait surtout aux dortoirs 1 et 2 , chez les élèves les plus âgés (1ère et terminale) : ces deux chambrées disposaient chacune d’une salle dite “vestiaire”, où s’alignaient les armoires en bois des pensionnaires, des penderies assez larges et sans portes.
Au moment où le surveillant éteignait les lumières du dortoir, les élèves qui désiraient continuer leur travail scolaire se dirigeaient tous vers cette pièce, bien plus vaste et commode que le WC. Chacun s’installait dans son propre casier, assis sur le rebord inférieur, entre les chaussures et le sac de linge sale. Et voilà une pièce de rangement ressemblant à une salle d’étude ; mais on n’y rédigeait pas les devoirs, car écrire dans ces conditions nocturnes n’aurait pas été facile ; on y étudiait sur cahier ou sur livre.
Un inconvénient subsistait : certains, moins portés sur le travail scolaire intense, venaient dans ce vestiaire pour chahuter, gênant ceux qui voulaient étudier, et risquant d’alerter le surveillant qui, alors, envoyait tout le monde se coucher…

Photos de dortoirs d’époque, dans d’autres internats semblables à ceux d’Henri IV ( photos – internet )

L’aile centrale du lycée, vue depuis le dortoir 2, en 1965

On remarque l’absence de galeries sur les derniers étages, réservés aux dortoirs 3, 4 et 5.

 

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