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Chapitre 3 : La journée-type d’un pensionnaire de 6éme, en 1960

Nous sommes en 1960 ; suivons un élève interne de sixième qui entame ses études au lycée. L’adaptation à l’internat n’est pas forcément évidente ; fini la liberté connue précédemment ; désormais, en pension, la discipline n’a rien de familial ; on est là pour étudier… et pour obéir !
Pour certains, les premiers jours s’avèrent un peu délicats, mais il faut bien s’adapter, s’habituer aux nouvelles règles de vie et de travail.
Voici donc, schématiquement, le déroulement d’une journée type, pour un pensionnaire de sixième, au cours de l’année scolaire 1960-61.

6 h 15 , dortoir 6 : Le surveillant s’éveille et se prépare ; dans l’alignement des lits, les enfants dorment encore.
6 h 30 : La première sonnerie de la journée retentit dans les escaliers et dans les cours ; le surveillant allume les lumières, frappe dans ses mains, demande aux élèves de se lever. Plusieurs sautent du lit prestement ; d’autres semblent refuser l’injonction du maître et se contentent d’ouvrir un œil. Le surveillant parcourt le dortoir et, à travers les couvertures, pince (modérément ! ) le pied des retardataires.
6 h 45 : La salle d’eau est encombrée ; plusieurs garçons, trousse de toilette et serviette en main, attendent une place sur la longue “ auge ” faisant office de lavabo commun. Le WC lui aussi connaît son affluence matinale.
7 h 00 : Près de son lit, chacun enfile ses vêtements, range dans son armoire pyjama et affaires de toilette, puis revêt la blouse grise des internes.
7 h 05 : Le surveillant demande d’activer la manœuvre. « Dans cinq minutes, nous descendons ; préparez-vous ». Chacun prend sa veste, et la passe par-dessus la blouse. Il ne faut rien oublier ; les dortoirs seront fermés tout au long de la journée.
Certains fouillent le fond de leur armoire métallique pour en sortir secrètement quelques grains de sucre et les placer bien vite dans leur poche.
7 h 10 : La sonnerie retentit ; en rang par deux nous quittons le dortoir direction le petit déjeuner, deux étages plus bas.
7 h 15 : Au réfectoire, la salle s’est emplie ; chacun a pris sa place. Le petit déjeuner est apprécié ; toutefois certains trouvent la quantité de sucre fournie insuffisante. Ils ajoutent discrètement quelques grains pris dans leur réserve secrète, cachée au fin-fond de leur armoire du dortoir. Mais il ne faut pas être vu ; un pensionnaire n’est pas autorisé à posséder la moindre nourriture.
7 h 35 : Le petit déjeuner va toucher à sa fin ; les agents de cuisine repassent encore avec lait et café.
7 h 40 : Nous rejoignons notre salle d’étude pour préparer le cartable de la matinée. Il s’agit, là aussi, de ne rien oublier ; les salles d’étude servent de salles de classe dès 8 heures et les casiers deviennent alors inaccessibles.
7 h 50 : Nous sommes de retour dans la cour. Le portail des externes et des demi-pensionnaires ouvre ; un flot d’élèves envahit les cours, s’ajoutant aux internes déjà présents.
7 h 55 : La sonnerie retentit ; des vagues de garçons s’orientent vers les cages d’escaliers qui, bien encombrées, retentissent des conversations matinales de centaines d’élèves. Les surveillants contrôlent tous ces déplacements.
8 h 00 : Sur la galerie, le professeur fait entrer le groupe. Chacun rejoint sa place. En principe, on ne change pas de place en cours d’année, d’où l’importance du premier cours de chaque matière, à la rentrée de septembre. Ce jour-là, ceux qui souhaitaient se trouver plutôt à l’avant, s’arrangeaient pour entrer les premiers.

Une galerie en 1965

8 h 55 : La sonnerie marque la fin du premier cours ; le professeur congédie le groupe qui s’échappe pour se diriger vers la salle de cours de deuxième heure. Les galeries et les sombres escaliers supportent à nouveau des flots de garçons pressant le pas dans les deux sens de circulation, ce qui annule parfois toute fluidité. Il faut préciser que le lycée étant vaste avec des salles réparties sur trois ailes et trois niveaux, certains groupes ont à parcourir une bonne distance pour rejoindre le cours suivant. Et, de plus, certains enseignants n’acceptent pas le retard…
9 h : Nous voilà en place pour la deuxième matière du matin ; elle nous occupera jusqu’à la récréation.
10 h : C’est la pause ; les deux cours s’animent ; les toilettes connaissent une certaine affluence, fâcheuse car le temps est compté.
10 h 10 : Nous rejoignons la salle de cours. Le travail scolaire reprend.
11 h : Nouveau changement de salle.
Midi : Les internes rejoignent rapidement leur salle d’étude pour déposer leur cartable au casier, puis ils se dirigent vers le rang réservé au réfectoire.
Tous les pensionnaires s’y retrouvent, rangés par niveau. Les “ demi[1] attendront 1 heure[2]  pour passer à table ; quant aux externes, ils ont quitté le lycée et reviendront avant 2 heures.
Nous entrons au réfectoire ; chacun rejoint sa table et sa place. Le service commence aussitôt.
Midi 45 : Le repas est terminé, le surveillant passe d’une table à l’autre, vérifie si tout est bien rangé et ordonne, d’un signe de la main, l’évacuation de la tablée.
Nous voilà libres pour une bonne heure. Les sixièmes et cinquièmes se rendent dans la petite cour et profitent de cette longue récréation pour bouger, crier, jouer avec les camarades.

1 h 45 : Nous montons en étude pour préparer le cartable de l’après-midi. On dépose les cahiers et livres utilisés le matin et on les remplace par ceux concernant l’après-midi en faisant en sorte de ne rien oublier (par exemple le cahier de textes ou le carnet de correspondance…). Nous descendons dans la cour.
1 h 55 : Les “ demi ” sont sortis du réfectoire ; les externes entrent dans la cour ; la sonnerie annonce le début de l’après-midi.
Celle-ci va se dérouler, comme en matinée, avec deux cours successifs : 2 h à 3h ; 3 h à 4 h et parfois un troisième : 4 h à 5 h (pour les grandes classes).
4 h : La journée est terminée pour les sixièmes, tout au moins en ce qui concerne les cours ; nous montons en étude pour mettre le cartable au casier.
Puis chacun rejoint bien vite la grande cour, où, sous la galerie près des cuisines, un agent de service sert le goûter.
Après cette distribution, le petit pensionnaire descend en petite cour, celle des sixièmes et cinquièmes. C’est le moment de courir et de se dépenser ; seule interdiction : ne pas se chamailler ou se battre.
Certains, par contre, préfèrent parfois s’installer dans un recoin abrité et lire des contes, légendes ou livres d’aventures, empruntés à la bibliothèque.

[1] Le terme “ demi ” désigne les demi-pensionnaires
[2] En 1960, pour les horaires de l’après-midi, on utilisait 1h, 2h … 8h, 9h … et jamais 13h 14h … 20h, 21h…

La petite cour en 1965

5 h : La sonnerie clôt la récréation de l’après-midi et invite tous les pensionnaires à rejoindre leur salle d’étude. Durant deux heures, ils vont apprendre leurs leçons pour le lendemain, rédiger leurs devoirs, faire les exercices…, lire ou s’occuper en silence. Chaque matière est concernée ; le cahier de textes est le seul guide. Le silence règne en étude.
7 h 10 : L’étude est terminée ; la sonnerie nous appelle pour le repas du soir.
7 h 15 : En descendant vers le réfectoire, nous pouvons enfin parler entre nous. On nous sert la soupe, le plat de viande et légumes, le dessert.
Après deux heures de silence studieux, le réfectoire s’emplit de conversations joyeuses et bruyantes. Mais si les surveillants estiment que le bruit est trop fort, ils imposent le silence absolu, durant une partie du repas ; on n’entend plus alors que le bruit des fourchettes…
7 h 45 : Sortie du réfectoire ; nous voilà dans la cour. Au printemps, au grand jour ou au soleil couchant, cet agréable moment de liberté est apprécié. Mais en plein hiver, par temps froid, dans l’obscurité profonde de la grande cour, il ne fait pas bon se promener sous les platanes. Et si de plus la bise glacée souffle, s’engouffrant dans cette cour largement ouverte à l’ouest, on ne peut alors que se réfugier sous les galeries ou dans une cage d’escalier ; la récréation du soir devient une épreuve qui ne se terminera qu’avec la sonnerie de huit heures, appelant les élèves pour monter au dortoir. Et la même situation se reproduit les jours de pluie !

8 h : En rang nous quittons la cour pour monter vers le dortoir 6. En hiver, les gros radiateurs en fonte répandent une certaine chaleur ; malgré ce, au lever le matin, c’est souvent la fraîcheur qui domine. En juin, par contre, la chaleur est parfois insupportable même avec les fenêtres ouvertes.
8 h 10 : Dès l’entrée au dortoir, il convient de se positionner au pied de son lit, debout et de respecter un silence absolu. Le surveillant vérifie l’alignement des enfants : deux rangées parfaitement droites, face à face. On pourrait presque se croire à l’armée ! Puis il fait l’appel, égrenant un à un les noms des élèves (mais jamais les prénoms). Après quoi chacun se prépare pour le coucher, sans courir (c’est interdit). Nous avons le droit de parler, mais pas très fort.
Presque chaque soir, le surveillant général lui-même passe pour inspecter les lieux et rappeler à tous que, à tout moment de la journée, il peut être là, pour représenter l’autorité et prendre des sanctions si nécessaire.
Chacun enfile son pyjama, passe par les lavabos (la fameuse “ auge ”) fait la queue devant les toilettes, enfin se glisse dans son lit, dont la broderie du couvre-lit rappelle clairement que l’on est au lycée Henri IV !
8 h 40 : Le surveillant effectue le tour du dortoir ; tous les enfants sont couchés : extinction des feux ! La journée a été chargée ; demain sera un nouveau jour. Le petit sixième s’endort en pensant à sa famille, son village…

Vers minuit : Le dortoir est fermé à clef, sans doute pour éviter toute fuite, mais le surveillant a une clef. Au milieu de la nuit, il est fréquent d’entendre le bruit d’une autre clef dans la serrure d’entrée. Ce n’est point un fantôme, mais le veilleur de nuit. Ce petit homme, boiteux, portant d’une main son trousseau de clefs et de l’autre un projecteur, éclaire tous les lits comme pour vérifier que chaque élève dort paisiblement, puis il repart vers le dortoir voisin.
Les internes sont surveillés jour et nuit !

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