Ce lycée, avec ses majestueuses ailes dominant de leurs quatre étages la plaine biterroise, semblait une bien grande demeure pour un jeune pensionnaire habitué à sa petite maison de village. Mais, au fil des semaines, l’élève s’habituait à ces locaux où il allait passer sept ans de sa vie ; bientôt il connaîtrait presque tous les adultes chargés du fonctionnement, et tous les recoins des bâtiments, du moins ceux autorisés aux élèves.
Cependant, jamais l’internat du lycée et ses personnels ne remplaceraient les parents et la douceur du foyer familial.
Le lycée de garçons demeurait un domaine masculin ; point d’élève fille et très peu de dames dans les personnels. En 1960 et 61, seulement cinq ou six dames travaillaient au lycée : la bibliothécaire, l’infirmière, deux ou trois lingères et notre professeur de musique. En 1962, arriva une jeune professeure de mathématiques, et un peu plus tard, une de sciences naturelles.
Les professeurs assuraient leur mission avec compétence et talent et nous les respections. Mais quelques-uns, fort peu nombreux, portaient une solide réputation soit de grande sévérité, soit de faiblesse permanente. On craignait les premiers, on chahutait les seconds. Les deux bénéficiaient de surnoms évocateurs donnés par les élèves et solidement transmis d’année en année.
Cette règle des sobriquets s’appliquait aussi aux surveillants et surveillants généraux[1] les plus autoritaires.
[1] Les surveillants généraux étaient les ancêtres des CPE (Conseillers Principaux d’Éducation)
Comment éviter la fatigue en cours d’éducation physique
Quelques professeurs de gymnastique donnaient parfois des exercices que certains élèves non-sportifs n’appréciaient pas. Mais, ces derniers contournaient ces difficultés. En voici deux exemples :
En début d’heure, l’échauffement consistait à courir, à vitesse rapide, dans la grande cour. Après plusieurs tours, la fatigue risquait de se manifester… Mais la cour est plantée de gros platanes, alignés sur plusieurs rangées. Le professeur se tenant au coin du gymnase, ne surveillait que d’un œil les rotations de ses élèves lesquels restaient groupés. L’astuce consistait à s’arrêter exactement derrière un platane, le plus loin possible du professeur et, bien caché, d’attendre là que le groupe de coureur repasse à cet endroit ; l’élève au repos repartait alors comme une flèche, se glissant au milieu du groupe, tandis qu’un autre, derrière lui, prenait sa place. L’opération pouvait se dérouler simultanément sur les deux ou trois platanes du fond de la cour, loin du professeur. Avec ce roulement, et vu la durée des tours de cour, ce processus permettait aux garçons qui n’aimaient pas la course de prendre un moment de répit.
Le deuxième procédé, un peu semblable, se jouait dans le gymnase, durant les ʺ pompes ʺ, que les non-sportifs n’appréciaient pas car elles leur donnaient une impression d’épuisement. Le professeur dominait le plateau en donnant le ton « Un, deux ; un, deux… ». En même temps, il pouvait, par la fenêtre, regarder la cour. En le surveillant du coin de l’œil, certains élèves cessaient l’exercice lorsque le regard de l’enseignant se perdait vers l’extérieur, puis ils reprenaient l’épreuve dès qu’il tournait la tête vers la salle. La même méthode s’appliquait aussi lors des battements de jambes, en ciseau, au ras du sol, l’élève étant allongé sur le dos, avec interdiction de poser les jambes au sol ; les paresseux interrompaient l’exercice dès que le professeur portait sa vue vers l’extérieur du gymnase !
Les surveillants
Au niveau des personnels de surveillance (au dirait aujourd’hui ʺ de la Vie Scolaire ʺ) les ʺ pions ʺ (c’est ainsi qu’on nommait les surveillants) ne nous faisaient pas vraiment peur, hormis deux ou trois d’entre eux, dont un qui confondait probablement, lui aussi, internat et armée et se montrait particulièrement généreux pour distribuer punitions et retenues. Lorsqu’il surveillait un groupe, même dans les grandes classes, il n’était plus possible de dire un mot ; avec lui, le silence régnait y compris sur les rangs, en étude, au dortoir…
Un autre, tout à l’opposé, se différenciait par son âge et son attitude ; bien plus âgé que tous les surveillants, il n’avait absolument aucune autorité ; tout était possible avec lui en étude (parler, se lever, jeter des papiers, etc…).
Mais le surveillant général, bien au courant de la situation, pouvait venir épier l’étude, caché sur la galerie. Ce jour-là, malheur à ceux qui chahutaient…
Les ʺ surgés ʺ (surveillants généraux), au nombre de quatre, assuraient discipline et rigueur, en particulier en direction des pensionnaires. On les voyait du matin au soir ; certains effectuaient des tournées dans la cour, au réfectoire, au dortoir… contrôlant le déroulement de la journée, vérifiant que chaque élève n’enfreignait pas le règlement, distribuant si nécessaire des heures de retenue (on disait ʺ heures de colle ʺ). Pour les pensionnaires, être ʺ collé ʺ représentait une vraie punition puisqu’il s’agissait d’une privation de sortie pour le samedi-dimanche.
Proviseur et censeur
Dirigeant tout ce monde, le proviseur demeurait une personne cachée, donc mystérieuse ; on ne le voyait pratiquement jamais, si ce n’est, pour les meilleurs élèves, en fin de trimestre, au parloir, à la distribution officielle des récompenses obtenues (félicitations, encouragements).
Le censeur, sûrement chargé de l’organisation des cours, siégeait sur la galerie voisine du réfectoire, mais restait, lui aussi assez peu visible. On ne l’apercevait qu’occasionnellement, on n’avait jamais affaire à lui.
Les personnels de service et de santé
Dans le personnel de service, nous connaissions surtout les agents de cuisine (tous des hommes), qui nous servaient les repas et le goûter. Nous les trouvions bien gentils par rapport aux personnels de surveillance.
Côté santé, on ne voyait la doctoresse scolaire que deux fois par an ; elle assurait les visites médicales de contrôle, pour tous les élèves. Dans une étroite salle de la petite cour, nous voilà en culotte, pour être mesuré, pesé, ausculté… de façon à juger de l’état général de l’enfant ou de l’adolescent.
La deuxième visite chez ce docteur concernait la cuti-réaction, imposée à tous, la tuberculose n’étant pas éradiquée. La scarification, sur le bras, se pratiquait souvent avec une vraie plume d’écolier, identique à celles que nous utilisions à l’école primaire pour écrire à l’encre violette.
L’infirmière, installée au dernier étage, s’apparentait à une gentille mère de famille, ce qui rassurait le petit pensionnaire lorsqu’il devait monter à l’infirmerie.
Il s’y rendait la plupart du temps pour des petits maux mais pouvait aussi y dormir si son état n’autorisait pas une reprise immédiate des cours.
En première médication, il fallait boire un grand verre de tisane chaude, d’un goût agréable. La prise de quelques médicaments de base pouvait suivre, mais si le garçon présentait une maladie particulière (et à plus forte raison si celle-ci était contagieuse) la décision de retour dans la famille s’imposait ; l’infirmière contactait les parents, ou le correspondant, qui devaient venir chercher au plus vite le pensionnaire malade.
Billet autorisant l’interne à se rendre à l’infirmerie – 1964
Les pantalons troués
La lingerie, également perchée au-dessus des logements de fonction, s’occupait en premier lieu du trousseau des pensionnaires. Serviettes de table, de toilette et draps de lit, tous marqués au nom et numéro de l’élève, déposés à la lingerie ne pouvaient être récupérés qu’à la sortie de l’internat (en général fin terminale).
Entre temps, les lingères en assuraient le lavage et la distribution. Chaque lundi à midi, nous avions sur notre table, au réfectoire, nos serviettes (voilà pourquoi on ne pouvait changer de table en cours d’année). Au dortoir, toujours le lundi, nous trouvions les serviettes de toilette. Chacun prenait la sienne et la suspendait au bon endroit. De la même façon, nous changions les draps régulièrement.
Une autre mission des lingères résidait dans la réparation de vêtements (souvent les pantalons) déchirés par le pensionnaire, par exemple lors d’une malencontreuse chute sur le goudron de la cour, durant une récréation un peu trop animée ! Pour monter à la lingerie afin de faire recoudre son pantalon, il fallait être muni d’un billet laisser-passer dûment fourni par le surveillant de service.
La réparation se faisait sur le champ, l’élève attendant, en culotte, dans un coin ; et si, par malheur, le genou lui aussi avait souffert lors de la chute, l’infirmerie, juste à côté, pouvait accueillir le blessé… Restait ensuite, pour l’accidenté, à expliquer à sa mère, au cours du prochain dimanche qu’il passerait chez lui, comment s’était produite une telle catastrophe, l’affaire se compliquant s’il s’agissait d’un pantalon tout neuf (avant la chute…).
Localisation de la lingerie et de l’infirmerie dans les années 1960-68