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Chapitre 5 : Jeudis et dimanches en internat

Les distractions de l’élève pensionnaire restaient fort limitées, le lycéen étant là pour étudier. Aussi, les rares divertissements existants prenaient-ils de l’importance ; ils se situaient essentiellement le jeudi après-midi, apportant ainsi quelques assouplissements au régime strict de l’internat.
Certes, la matinée nous laissait déjà une heure entière de récréation, et des heures d’étude propices à la mise à jour des devoirs et aux révisions en vue des compositions. Mais à partir de la seconde, nous avions cours tout le jeudi matin.
Par contre, le jeudi après-midi, avec ses possibilités d’évasion, marquait plaisamment le milieu de la longue semaine d’internat.

Cinéma et cinéma éducatif

Pour les petites classes (jusqu’à la troisième) une sortie, en rang par deux, sous surveillance, nous permettait d’aller au cinéma Lynx. Cette petite salle, située au faubourg, avenue du Colonel d’Ornano, présentait des westerns et des films pour la jeunesse. Avec 1 franc ou 1 franc 10, nous voilà plongés dans un monde d’aventure et de dépaysement.
Les séances de cinéma de l’époque comportaient deux parties, séparées par un entracte destiné à la vente de friandises. Le film passait en deuxième partie, la première étant consacrée à des courts métrages éducatifs, des reportages et aussi à l’actualité nationale et internationale de la semaine précédente, une sorte d’ancêtre des journaux télévisés (les téléviseurs n’étaient présents que dans de très rares familles).

Les quelques pensionnaires qui ne souhaitaient pas passer l’après-midi au cinéma se rendaient, toujours sous bonne escorte, à la Présidente, un complexe sportif situé à plus de deux kilomètres, pour jouer au ballon ou marcher librement, tout en respirant le bon air, une usine d’engrais siégeant à proximité… Et puis, ils pouvaient, en bordure des nombreux terrains de sport, voir passer les trains sur la ligne Béziers-Narbonne…
À partir de la seconde, l’autorisation donnée aux internes de sortir seul en ville les jeudis après-midi mettait fin, pour eux, aux séances de cinéma du Lynx et à la promenade à la Présidente.

Le jeudi (ou parfois le mercredi) en fin de journée nous avions droit au ʺ cinéma éducatif ʺ. Dans la salle de La Vigilante, on nous projetait des petits films documentaires nous faisant découvrir la nature, le monde… Cela nous plaisait bien mais la rigueur de l’internat sévissait là aussi : le machiniste n’était autre qu’un personnel du lycée. Il n’admettait aucun bruit durant la séance, aucun bavardage entre élèves voisins. Difficile à tenir lorsque l’intérêt du film se prête à des commentaires ! Mais le projectionniste avait trouvé une méthode infaillible qui, en principe, devait maintenir le silence durant la projection. Voici comment :
La séance finissait toujours par un court métrage comique (Laurel et Hardy, ou Charlot), ou par un dessin animé amusant (genre Mickey).
Au premier chuchotement de l’assistance, il annonçait au micro :

  • « Veuillez vous taire et suivre le film». Au deuxième :
  • « Taisez-vous sinon vous n’aurez pas Laurel et Hardy tout à l’heure ».

Et si le bruit reprenait :

  • « Il y a trop de bruit ; vous serez privés du film comique».

C’est ainsi que, parfois, nous ne pouvions, à regret, apprécier les bêtises de Charlot, Mickey ou Laurel-Hardy… avant de monter au réfectoire pour le souper.

Le réfectoire en 1965, au premier étage (par rapport à la grande cour).

Fêter Noël à l’internat

La salle de La Vigilante proposait aussi aux pensionnaires une séance de cinéma particulière et qui n’arrivait qu’une fois l’an : la  soirée de Noël ʺ ; elle se déroulait souvent un vendredi en fin de journée, juste avant les vacances de décembre ; on nous projetait un vrai film long métrage plutôt amusant (par exemple   ʺ L’auberge rouge ʺ, avec Fernandel). Après ce film, nous montions au réfectoire pour un repas ʺ amélioré ʺ, un repas ʺ de Noël ʺ, au cours duquel, certaines années, nous pouvions nous permettre, durant un bref instant, de crier et taper avec les couverts sur la table, sans qu’il pleuve des heures de colle ! Cet évènement, en soi, nous semblait aussi important que le film que nous venions de voir ! On a aussi en mémoire la prestation d’un interne qui avait chanté ʺTous les garçons et les fillesʺ de Françoise Hardy.

L'éducation religieuse

Le lycée disposait d’une aumônerie, qui se traduisait par le fait que des prêtres pouvaient assurer des cours d’éducation religieuse pour les élèves de confession catholique, si la famille l’acceptait. Nous avions donc un abbé qui nous prenait en salle de classe ou parfois au parloir, une heure par semaine, pour conversations et débats sur des thèmes divers, avec souvent projection de films fixes. Monsieur l’Abbé menait les discussions avec gentillesse et ouverture d’esprit et, surtout, sans aucune discipline stricte, sans le moindre risque de punition, contrairement à ce que faisaient les surveillants. Autrement dit, les élèves appréciaient grandement ces interventions qui fournissaient à chacun un moment de liberté au sein d’un internat rigide. Et personne ne chahutait !

Dans ces conditions, nous nous retrouvions fort nombreux aux cours de l’abbé, qui attiraient aussi bien les catholiques pratiquants que les incroyants.
Certaines de ces séances se tenaient à La Vigilante, qui permettait de meilleures projections. Mais pour s’y rendre, il faut sortir du lycée et descendre la rue du Collège. Avec les surveillants, un tel déplacement s’effectuait en rang par deux et dans le calme. Mais avec Monsieur l’Abbé, point de contrainte. Nous dévalions la rue à la course en nous arrêtant à l’angle de la rue Tourventouse où une petite boulangerie nous vendait des gâteaux peu chers mais volumineux. Et nous entrions à La Vigilante, sous l’œil complice de l’abbé, pour déguster les grosses ʺ pêches ʺ à la crème, tout en écoutant les bonnes paroles de l’aumônier.

Billet autorisant un pensionnaire à se rendre à la loge, pour téléphoner 1967

Les dimanches en pension

Bon nombre de pensionnaires sortaient du lycée le samedi à 4 heures, et rentraient le lundi avant 8 heures (ou le dimanche soir pour certains). Mais d’autres restaient dans l’établissement tout le week-end. Il fallait donc s’habituer à passer des fins de semaine au lycée.

La vie du pensionnaire, entre le samedi soir et le lundi matin, devenait quand même plus agréable qu’en semaine, le petit nombre de présents permettant un certain relâchement de la discipline.

Dès 17 heures, le samedi, les règles s’adoucissaient. En voici un exemple : au parloir se trouvait le seul téléviseur de l’établissement, et il ne servait pratiquement jamais ! Mais les internes présents le samedi soir pouvaient parfois s’y rendre pour regarder (en noir et blanc) les matches de rugby du tournoi des cinq nations, commentés par Roger Couderc.
C’est au cours de ces années-là que l’équipe de Béziers (de l’ASB) entrait dans l’histoire du rugby ; le lycée Henri IV, qui fût une pépinière de joueurs, y contribua modestement.

L’étude de fin d’après-midi existait le samedi ; elle se déroulait dans une autre salle, par regroupement des présents. Au réfectoire, pas de menu dominical particulier, mais, de même, un changement de place vu le petit nombre de présents.
Ces modifications apparaissaient aussi au dortoir. Les surveillants rassemblaient les élèves de dortoirs voisins dans un seul, tous restant ouverts en soirée et le matin au lever, afin de laisser à chacun l’accès à son armoire.
Si par chance notre dortoir était choisi, rien ne changeait pour nous. Par contre si on nous envoyait dans le dortoir voisin, nous devions déménager nos draps et couvertures, choisir un lit inoccupé, en enlever les linges de lit pour les remplacer par les nôtres. Et bien sûr, le lundi matin, l’opération inverse s’imposait.

Le dimanche matin, un évènement bien particulier se préparait dès 8 heures : le départ vers l’église des Pénitents pour la messe dominicale. On se rangeait par deux, puis le surveillant général passait en revue cette colonne de « pensionnaires croyants » pour inspecter leur tenue générale ainsi que la brillance de leurs chaussures. Après cette ʺ validation militaire ʺ, la colonne était autorisée à partir pour l’église des Pénitents.
C’est en grand nombre que les internes présents se portaient volontaires, y compris ceux qui n’allaient jamais à la messe chez eux. Pourquoi ? Tout simplement en raison de la présence, au même office, des internes du lycée de jeunes filles ! Dans la petite église, les filles se tenaient sur la partie gauche et les garçons sur la droite, mais la proximité des deux groupes permettait aux uns et aux autres de se voir de près, si bien que nombreux étaient ceux et celles qui, durant la célébration, regardaient plutôt sur le côté que vers le chœur. À la fin de la messe, les surveillants (et les surveillantes du lycée de filles) activaient la sortie de part et d’autre, afin que ne se produise aucune rencontre inopinée entre lycéens et lycéennes.

Toujours le dimanche, le pensionnaire pouvait sortir si son correspondant biterrois venait le chercher. L’élève bénéficiait ainsi d’un entracte dans sa vie d’interne, sous forme, la plupart du temps, d’un dimanche en famille.
Le retour au lycée, en fin de journée, n’était pas le meilleur moment, mais, le fait d’avoir retrouvé un contexte familial faisait oublier la rigueur habituelle de l’internat.
Ceux qui n’avaient pas la chance, le dimanche, de sortir du lycée avec leur correspondant, bénéficiaient, l’après-midi, d’une promenade qui, parfois, les amenait au stade de Sauclières, voir un match de rugby.

Les internes les plus âgés jouent au volley-ball.
Récréation de l’après-midi, en grande cour  –  1965 

Des sorties culturelles

Dans les grandes classes, une nouveauté apparut, pour les pensionnaires intéressés : assister à des séances du Ciné-Club ou des JMF, en soirée, moyennant le prix d’entrée. Ce Ciné-Club, au cinéma Palace, avenue Saint-Saëns, présentait des films classiques ; les JMF (Jeunesses Musicales ce France) proposaient, au théâtre municipal, des spectacles alliant musique et théâtre. Les volontaires s’y rendait, après le repas du soir, avec un surveillant ; au retour, nous entrions au dortoir à pas feutrés, pour ne pas réveiller nos camarades.
Dans un autre domaine, on nous proposa, en seconde de suivre une série de cours de secourisme, donnés, une fois par semaine, par la protection civile. Ils se déroulaient au gymnase, après le repas du soir, durant plusieurs mois. À la fin de cet apprentissage, un examen permit à plusieurs internes d’obtenir le diplôme de ʺ secouristeʺ.

Les copains

Dès l’entrée en sixième, à onze ans, la vie en internat se substituait, en quelque sorte, à la vie de famille, reléguée aux seules périodes de vacances. Aussi, la camaraderie au sein du pensionnat compensait-elle quelque peu l’absence des parents et de la fratrie. Chacun avait ses copains, que l’on appelait par le nom de famille, rarement par le prénom. Au fil des mois et des années, ces camarades de classe devenaient de vrais amis, pour la vie.

Mais, comme partout, l’inverse existait à l’internat. Les garçons timides ou candides risquaient, dans ce monde clos de la pension, d’être ennuyés par les dissipés ou les agressifs. Le harcèlement, en paroles ou en actes, se produisait parfois dans les cours de récréation, loin du regard des surveillants.

D’autre part, tout comme certains adultes de la communauté, quelques enfants (souvent les faibles et les meneurs) portaient un surnom, plus ou moins moqueur ou flatteur, selon le cas. Ce sobriquet, donné par on ne sait qui, pouvait perdurer des années, surtout dans les petites classes.

Escalier donnant dans la grande cour  – 1965

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