Avant de retracer la vie des internes d’autrefois, visitons le Lycée Henri IV, tel qu’il était dans les années soixante.
Première caractéristique, et non des moindres, il s’agissait d’un lycée de GARÇONS. Pas une seule élève fille. Le corps professoral, les personnels de direction, les agents de service… étaient pratiquement tous des hommes.
La même règle s’appliquait au Lycée de Jeunes Filles, place Suchon (devenue plus tard Place Général de Gaulle) : uniquement des filles, avec des dames à l’encadrement.
Créé sous Henri IV, d’où son nom, ce lycée de garçons fut reconstruit au tout début du vingtième siècle. En 1960, les bâtiments approchaient donc de la soixantaine.
Perché en haut de la colline biterroise, le lycée domine la plaine de ses ailes majestueuses comptant trois ou quatre niveaux chacune.
Un bâtiment plus récent, dit (à l’époque) “ bâtiment neuf ” prolonge l’aile nord. Bâti à la fin des années cinquante, il a la surprenante particularité de ne pas être en accord architectural avec les grandes ailes du début du vingtième.
Dans les bâtiments d’origine, point de couloir ; à chaque étage, des galeries extérieures, assurent les déplacements, au grand air. L’orientation est-ouest de ces chemins hors murs, garantit une exposition remarquable aux vents dominants. Ainsi, marcher sur une galerie, face au vent, un jour de fort “cers[1] ”, par un froid matin d’hiver, peut s’apparenter à une prouesse pour un petit sixième haut comme trois pommes !
[1] Cers : le vent d’ouest, dans le biterrois.
Les trois cours
L’établissement présente deux cours de récréation, elles aussi en plein cers.
La grande cour arbore de majestueux platanes qui font toute sa richesse. En demi-saison ou en été, verdure et ombre agrémentent ce lieu. Lors des récréations, cette cour était réservée aux classes de la quatrième à la terminale. Les sixièmes et cinquièmes n’avaient pas le droit de s’y rendre.
Une spécificité, qui aujourd’hui peut nous paraître insolite, existait dans cette cour : le coin des fumeurs. Situé côté nord, dans l’angle de l’escalier d’honneur, il s’étendait sur quelques dizaines de mètres, sous la galerie, le long du petit gymnase.
Tout lycéen de second cycle (de la seconde à la terminale) pouvait s’y rendre lors des temps libres pour fumer une (ou plusieurs) cigarettes. Les surveillants y passaient, surtout pour dénicher l’éventuel “ petit ” (troisième ou plus jeune) qui aurait osé s’y introduire ; si cet élève ne fumait pas, on le sermonnait et le chassait vers le reste de la cour ; s’il fumait, il récoltait une punition. De nuit (par exemple pendant la récréation de 20 heures, avant la montée aux dortoirs), ces “ jeunes ” fumeurs non autorisés, bénéficiant de l’obscurité, échappaient plus facilement aux contrôles.
En fait, la plupart des “grands” qui venaient là pour fumer n’appréciaient pas vraiment la présence d’un élève de troisième ou de quatrième, sauf s’il s’agissait d’un de leurs copains ; et encore fallait-il qu’il soit assez grand pour être pris pour un élève de seconde.
La grande cour servait aussi pour les heures d’éducation physique : sous la direction des professeurs de cette matière, on en faisait le tour à la course, un grand nombre de fois. Un terrain de volley-ball, situé sur la partie avant de la cour, côté boulevard, faisait le bonheur des grands pensionnaires, avant l’étude de fin d’après-midi.
La grande cour, en 1965
La deuxième cour, baptisée “ petite cour ”, se situe en contrebas et présente une surface nettement plus restreinte. Réservée aux récréations des sixièmes et cinquièmes, elle résonnait des cris de ces jeunes élèves qui, courant en tous sens, donnaient à ce lieu une image de vie intense, en comparaison du calme relatif de la grande cour.
La cour d’honneur, troisième cour du lycée, présentait quelques particularités. Tout d’abord, il s’agissait plutôt d’un jardin d’honneur ; on y trouvait, tout comme aujourd’hui, arbres et arbustes, bassin et statues. Les élèves n’y avaient guère accès, sauf deux fois par an.
La première fois, à l’occasion d’une cérémonie à la mémoire de Jean Moulin, qui fut élève à Henri IV. Ce jour-là, à moitié matinée, toutes les classes défilaient devant la stèle honorant le héros, en présence des responsables du lycée, des personnalités de la ville et surtout de Madame Laure Moulin, sœur de Jean Moulin.
Avant de quitter la salle de classe, le professeur demandait aux internes d’ôter leur blouse grise, puis donnait les consignes de bonne tenue qu’imposait cette commémoration.
Nous posions le pied dans la cour d’honneur une deuxième fois dans l’année, le jour des photos de classe, devant la statue. Le reste du temps, traverser, ou simplement stationner, dans ce jardin d’honneur pouvait entraîner une réprimande.
Le jardin d’honneur en 1965
Les couloirs d’entrée
L’entrée du lycée, par la grande porte rue Ignace Brunel, ne voyait guère passer d’élèves. Les externes ou demi-pensionnaires ne l’utilisaient jamais ; ils devaient emprunter, pour entrer ou sortir de l’établissement, le portail ouvrant sur la grande cour, rue Étienne Forcadel. Seuls les internes passaient par la porte principale, en partant le samedi à 16 heures, et à leur retour. C’est là qu’ils déposaient leur billet rouge de “ congé dominical ” en entrant le lundi matin avant 8 heures (ou le dimanche soir pour certains).
Autant dire que cette entrée et les deux splendides couloirs de part et d’autre, restaient des lieux plus ou moins méconnus des élèves. De plus, la présence du bureau de Monsieur le Proviseur rendait cet endroit encore plus inquiétant. En semaine, un pensionnaire ne s’y aventurait que par nécessité absolue, dans trois cas bien précis : pour se rendre au parloir, ou à l’infirmerie, ou à la lingerie.
En premier lieu, il pouvait donc être autorisé à emprunter ces couloirs administratifs pour rejoindre le parloir, la plus belle salle du lycée, ornée d’une cheminée et présentant sur marbre une liste d’anciens élèves morts pour la France.
Si, lors des longues récréations (vers 13h ou 16h), une personne extérieure se présentait, pour rendre visite à un interne, le concierge appelait l’élève (par haut-parleur) lequel montait au parloir.
En second lieu, un interne pouvait justifier sa présence dans ce grand couloir s’il devait se rendre à l’infirmerie ou à la lingerie, lesquelles se situaient au-dessus, au deuxième étage. Mais pour y accéder, outre le fait d’emprunter le majestueux couloir à demi-interdit, il fallait, en montant l’escalier, passer, au premier étage, devant l’entrée de l’appartement de fonction soit du proviseur (si on se rendait à l’infirmerie), soit du censeur (si on allait à la lingerie). Beaucoup considéraient ces trajets comme un embarras, et marchaient, à ces endroits, à pas feutrés.
Pourtant on n’allait pas à l’infirmerie ou à la lingerie sans autorisation écrite : un surveillant nous fournissait un billet, sorte de laissez-passer attestant que nous avions été inscrits à telle heure sur les cahiers répertoriant ces déplacements.
Le réfectoire
Le réfectoire restait un lieu inconnu des externes.
Il siégeait au premier étage au-dessus de la cour (et donc au rez-de-chaussée par rapport au jardin d’honneur). La cuisine se situant en-dessous, niveau grande cour, les agents utilisaient un monte-charge pour véhiculer vers le haut les plats à servir.
De grandes tables pour huit nous accueillaient avec des places fixes à l’année. Il convenait donc de bien se positionner dès le premier repas, à la rentrée de septembre, car on ne changeait pas de place par la suite.
Les tables s’alignaient sur deux rangs, de part et d’autre de la salle, laissant au centre un large espace pour les chariots de service. Les deux élèves en bordure de ce passage s’occupaient, en fin de repas de réceptionner et empiler correctement les assiettes et couverts de la table. Ceux situés vers le centre de la table devaient servir car les denrées arrivaient en plats pour huit. Ceux positionnés côté mur distribuaient les serviettes de table, situées dans des petits casiers, au-dessus et les y rangeaient en fin de repas.
Au petit déjeuner, nous avions café et lait, en grandes carafes métalliques, des tartines de pain à peu près à volonté, avec beurre, confiture ou miel. Celui-ci arrivait dans une grande coupelle et l’un de nous devait le partager en huit parts égales, à l’aide des huit cuillères à soupe de la tablée ; opération facile si le miel se présentait relativement épais ; opération plus que délicate quand le miel, trop liquide, coulait en dehors des cuillères (on les positionnait alors le plus possible à l’horizontale en appuyant la queue de chacune sur d’épaisses tranches de pain !). Même chose avec la confiture.
Nous prenions le déjeuner (qu’on nommait dîner) à midi, en premier service, les demi-pensionnaires passant à table en deuxième service vers 13 heures. Et le dîner (on disait le souper en ce temps-là) nous était servi vers 19 heures 15. Le menu comprenait toujours entrée, viande, légumes et dessert. En principe, on n’avait jamais à se plaindre de la nourriture à l’internat.
Les samedis et dimanches, le nombre de présents étant léger, on se retrouvait, à table, avec des élèves non connus, parfois des grands, mais on n’a jamais eu à subir des maltraitances du genre :
« Tu es un petit sixième donc tu auras moins de dessert que nous qui sommes des grands ».
Au cours du repas de midi, un surveillant distribuait le courrier. Pour un pensionnaire, loin de son village et de sa famille, recevoir une lettre représentait un vrai bonheur et illuminait la journée. Chacun pouvait également envoyer une lettre en la remettant au surveillant d’étude, en fin d’après-midi.
Le jardin d’honneur, côté statue – 1965
Les dortoirs
Les dortoirs, juchés dans les derniers étages, présentaient deux alignements de lits sans séparation. La salle d’eau, commune aux quarante ou cinquante occupants, n’offrait que quelques lavabos et un seul wc, d’où des queues parfois bien longues, en particulier lors de la toilette du matin.
Le surveillant dormait dans le dortoir ; il disposait d’un bureau et d’un lit, aménagés derrière une paroi de bois et verre qui le dissimulait à nos yeux.
Une spécificité du dortoir six (où dormaient les sixièmes) résidait dans l’absence de lavabos, remplacés par une sorte d’auge, d’une bonne longueur, avec plusieurs robinets ; un lavabo pour sept ou huit garçons, en quelque sorte. Ce dortoir deviendra, beaucoup plus tard, une salle de dessin.
On ne disposait pas de douches dans les dortoirs. Deux salles de douches existaient ailleurs, dans le lycée, l’une près de la petite cour, l’autre aux abords du gymnase. Nous nous y rendions, sous la direction d’un surveillant, une fois par semaine, à une heure bien précise (souvent le jeudi matin en l’absence de cours).
Les salles de classe
Les salles de classe, qui s’alignaient sur plusieurs étages, donnaient toutes sur les galeries extérieures ; changer de salle entre deux cours obligeait donc à passer dehors (ce qui est toujours le cas actuellement).
Certaines salles présentaient une affectation bien définie, par exemple :
- Les salles d’étude, au nombre de huit ou dix, essentiellement autour de la grande cour, assuraient deux fonctions : salles de classe dans la journée, salles d’étude des pensionnaires en fin d’après-midi, avec, pour cela, des alignements de casiers en bois, superposés, chacun fermé par le cadenas de l’interne concerné.
- Au deuxième étage, les salles de physique-chimie, en gradin afin de bien voir les expériences réalisées par le professeur sur sa large paillasse.
- Les salles de sciences naturelles, pareillement équipées ; l’une d’elles, plus moderne, se trouvait dans le ʺ bâtiment neuf ʺ.
- Le gymnase, à demi tapi en sous-sol, n’offrait pas assez d’espace pour plusieurs classes en même temps.
- “La Vigilante”, seule grande salle, toute en longueur, servait à des projections cinématographiques pour plusieurs classes, mais avec une très mauvaise acoustique. Presque entièrement en sous-sol, elle n’était accessible que par la rue Tourventouse, obligeant donc les élèves, pour s’y rendre, à sortir du lycée, accompagnés bien sûr !
- Les toilettes-élèves (seulement pour garçons !), situées dans deux espaces, un par cour, connaissaient des affluences notables, au moment des récréations.
- La bibliothèque, installée dans une toute petite salle du ʺ bâtiment neuf ʺ ne ressemblait en rien aux CDI (Centre de Documentation et d’Information) des lycées d’aujourd’hui. On pouvait seulement y emprunter de classiques livres de lecture (pas de bandes dessinées, pas de livres illustrés… et pas de lecture sur place…). Une dame tenait le poste de bibliothécaire.
- Les salles de classe du lycée, bien que nombreuses, ne suffisaient pas, vu le nombre important d’élèves (plus de 1000, pour plus de 30 classes). Deux annexes complétaient la structure :
* Le bâtiment Lagarrigue, face aux Halles, prêtait deux ou trois salles, en rez- de-chaussée, dont une pour le “ travail manuel ”, une autre pour le dessin.
* Plus loin, l’ancienne caserne du quartier Saint Jacques fournissait trois dortoirs, pouvant accueillir plus de cent élèves.
Signalons enfin les nombreuses cages d’escaliers, ouvertes à tout vent. Mais le plus remarquable dans la structure du lycée restait l’ouverture de ses cours sur l’ouest. En raison de l’implantation des bâtiments pratiquement en haut de la colline biterroise, les cours offraient (et offrent toujours) un point de vue admirable sur la plaine de l’Orb avec, au loin, les contreforts des Cévennes et de la Montagne Noire. Les internes appréciaient ce panorama et s’amusaient à localiser leur village, là-bas, au loin. Ainsi, le pensionnat à Henri IV ne ressemblait pas à une prison !